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Paysages évasifs(2010)

La Forêt

Périphéries

Rivages

Paysages évasifs

Les images réalisées par Christophe Boulard sont regroupées autour de thèmes qui les enracinent dans quelques apparences du monde dont elles semblent pourtant s’être librement échappées : Rivages, Forêts, Périphéries, sanctionnent comme un principe de réalité le plaisir d’admirer des photographies délivrées d’être fidèles à un sujet, vouées à éclairer comme jamais le nuancier des couleurs naturelles.

Cette impression que l’on ressent immédiatement devant ces tableaux photographiques semble avoir pour cause des techniques particulières à la prise de vue : le flou lié au calcul de la profondeur de champ et le bougé qui, en éliminant les contours de toute forme visible, laissent alors la place au chevauchement de plages colorées.

Christophe Boulard recourt, certes, à de tels procédés qui furent couramment employés par ces photographes qu’on appelait coloristes vers le milieu des années 70. Mais tandis que chez ces derniers l’émergence de la couleur structurait la photographie, – Franco Fontana ou Luigi Ghirri, par exemple, ont redéfini le champ paysager par des combinatoires chromatiques – le paysage tend à s’évanouir chez Christophe Boulard, à la façon d’un souvenir ancien, d’une perte de vue consentie.

Il en résulte alors le spectacle étrange d’une propension des couleurs à se maintenir par soi dans un espace où elles n’entretiennent presque plus de rapport avec une surface de référence qu’on pourrait nommer, comme un mur, un arbre ou un toit. Or, comme il est impossible de se représenter naturellement une couleur sans surface, l’œil est enclin à trouver ses références dans la peinture, dans ces grandes surfaces de l’Art où l’invention de la couleur connaît de multiples déclinaisons.

Ainsi certains « rivages » vibrent comme des ciels de Turner en rade de Venise, dans les « périphéries », on croirait survoler parfois quelques centimètres carrés de toiles de Nicolas de Staël et dans les « forêts » la prise de vue paraît surprendre par hasard de vives coulées profuses d’Olivier Debré.

Mais ni l’usage du flou, ni le dialogue avec les peintres ne constituent l’intention particulière de cette œuvre qui se présente pleinement comme celle d’un photographe de la digital generation. Christophe Boulard a su imposer aux tirages papiers de ses prises de vue numériques ces lueurs nouvelles qui proviennent du rétro-éclairage des écrans. Des brillances et des surbrillances de fond homogénéisent les teintures du monde visible, inventant ainsi un nouvel assortiment du coloris photographique.

Chacune de ces images n’existe que pour fournir un cadre à ces lumières qui mesurent en harmonie l’écoulement de la couleur sur une allusion lointaine, et poétique par cela même, au paysage. En ce sens, les séries photographiques de Christophe Boulard sont toutes orientées vers la création d’un signifiant original, distinct de celui de la photographie argentique.

Dans une période où la photo numérique n’a pas encore défini un champ autonome de possibilités créatrices, ces paysages évasifs lui confèrent une identité remarquable.

Robert PUJADE